Par Annie Robert, Photos : Lydia de Mandrala, Thierry Dubuc.
Chroniques Marciennes # 4
Marciac 2 Août 2016
Les légendes à l’œuvre.
John Scofield / John MacLaughlin
Deux grands noms de la guitare sont à l’honneur ce soir sous le chapiteau, deux légendes, deux aînés impressionnants, inspirateurs de cohortes de guitaristes qui se sont déliés les doigts sous leurs rifs à s’en faire des ampoules.
Une affiche de rêve et un régal anticipé.
C’est John Scofield, compagnon de Jerry Mulligan et de Miles Davis, avec son allure de gentleman modeste et sa barbiche de père Noël qui entame la soirée. La guitare brillante comme un soleil noir se met à chanter tout de suite le blues en motifs à la fois éclatants, enveloppants et clairs, d’une virtuosité affolante. Une atmosphère intime s’installe, où le bavardage amical et musical est de mise entre le public et lui avec des coups de colère, et des confidences. Il occupe la scène et notre tête, sans effraction.
Autour de lui, Bill Stewart assure une pulsation active et prenante qui sait également se montrer discrète et faire le minimum quand il faut; un simple petit frappé sur la cymbale faisant résonner en nous toute la nostalgie du blues.
Steve Swallow avec son allure de vieux monsieur fatigué, blanchi sous le harnais, son regard de myope, déploie à travers sa basse acoustique (instrument peu conventionnel) un toucher tout en finesse, un suivi attentif et un soutien intelligent. Les liens entre les trois musiciens sont évidents, faciles, et naturels. Gouttes de fusion, effets de réverb et sons légers de cathédrale soulignent encore davantage la dextérité des doigts, le discours jamais inutile.
Il fait moite sous le chapiteau, la salle est transpirante mais les motifs s’élancent en lianes d’eau, la guitare s’accroche aux poutrelles, berce la nuit puis la réveille, l’éclaire et la secoue. La mélodie se tord, et se contorsionne mais ne s’évanouit jamais, elle se promène en liberté. Si elle s’avance masquée, c’est pour mieux revenir s’amuser sur le manche de nacre. La country s’invite dans une ballade minimaliste d’une pure simplicité et disparaît. Le rock éclabousse comme un blues moderne, criant la joie, la nostalgie ou la peur. Un mélange non forcé, tout fraternel.
John Scofield nous a emmené pour un moment unique dans ses jardins d’eucalyptus, dans ses déserts de pierre. On s’est senti privilégié de pouvoir partager cela avec lui, avec eux.
Un changement de plateau plus tard, John McLaughlin, 74 ans aux prunes, une allure de jeune homme flegmatique investit la scène.
Un son énorme, éclairé à l’électrique, dopé au groove éclate et ne nous lâchera pas. Ca pulse dur et fort, le palpitant s’emballe, les tempes tapent, les pieds aussi et les poumons se remplissent d’air. Ca déménaaaaaage !!
Jazz fusion, rock, influences indiennes, John Mclaughlin est de ceux qui cherchent et s’aventurent, marquent leur temps et les mémoires des musiciens.
Dans un français charmant, il présente longuement et avec amitié ses side-men : des « rolls » musicales : Etienne Mbappe à la basse, dont les mains gantés de noir nous gratifieront de plusieurs solos à tomber en pamoison, Gary Husband qui passent des claviers à la batterie avec le même talent ( « C’est agaçant les gens comme ça !! » dira McLaughlin en riant) et Ranjit Barot , batteur indien inventif, formé aux tablas et aux « ti ke tah, tah ! », fort comme un rock dont la formation complétera ce melting-pot ouvert.
Les morceaux proposés sont de structure solide où l’improvisation a la part belle. Des ballades se transforment en acmé totale, et en groove terrifiant pour finir dans la douceur d’un accord de blues. La guitare pleure, rit, gémit, chuinte et gronde. Les battles s’enchaînent : piano/ guitare, batterie/ piano/ et un fantastique échange batterie/ batterie mêlé de scats indiens. John McLaughlin s ‘appuie sur plusieurs morceaux – hommages. Un à l ‘ « Abadji » maître indien des tablas où le chant se croise avec les reverb et les vibratos, pour finir en souffle et en voix seules. Et une autre pièce en souvenir de Paco de Lucia « El hombre que sabia » qui nous prendra au cœur et à l’estomac par sa force évocatrice des rythmes andalous qui affleurent.
Sont-ils des rockeurs qui jazzent, des jazzeux qui indianisent, des indiens qui rockent ? Peu nous importe. Leur musique nous enflamme sans problèmes, et au fond de la nuit, les yeux baissés par la fatigue, rompus de notes, on en redemande encore, un petit peu plus, un petit peu plus….
Une belle soirée étoilée hors du chapiteau et dans le chapiteau. Deux guitares, deux hommes, deux héritiers, deux semeurs d’avenir.
Deux voies. Deux voix.
Et nous tous pour les entendre.